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Dire ou ne pas Dire

 

Pendant deux ans, ils n'ont fait qu'un.
Ils ont tout partagé, se sont tout dit,
ont vécu dans la transparence
et l'absolu de leur amour tout neuf.
Comme si chaque désir, chaque doute ou crainte,
chaque parcelle de leur passé ou de leur présent
devait être offert à l'autre,
pour que l'intimité soit encore plus intense.

Quatre ans plus tard, Agnès, 37 ans, et Simon, 39 ans,
s'aiment aussi fort, mais ne font plus un.
«Aujourd'hui, on ne se dit pas tout, on ne partage pas tout,
j'ai des copines qu'il ne connaît pas
à qui je confie des choses et dont je ne lui parle pas.
Il a sa bande de copains avec qui il fait de la voile et décompresse…
Nous ne vivons plus l'un de l'autre, mais l'un avec l'autre.»

Si la transparence est vécue comme une preuve d'amour au début de la passion,
elle peut, avec le temps, et si elle reste le seul langage de l'intimité,
épuiser la relation.
Le désir, qui se nourrit d'inaccessible, de manque, de mystère,
est alors le premier à faire les frais de sa tyrannie.
«Chaque individu a besoin de son jardin secret,
explique Pierre Lévy-Soussan, psychiatre et psychanalyste.

Car c'est à l'intérieur de ce jardin qu'il nourrit ses pensées
et ses élaborations personnelles et qu'il peut s'abandonner à l'illusion.
Depuis notre naissance, illusions et désillusions se sont en effet succédé
pour nous permettre d'appréhender la réalité de manière juste,
mais aussi pour nous donner un espoir de la changer et de l'enchanter.
L'illusion nous pousse à transformer le monde et à créer,
en cela, elle est nécessaire à un couple pour le maintenir dynamique et en évolution.»

Tourner trois fois sa langue…
Or, de nombreux couples
– et les thérapeutes le constatent quotidiennement en consultation –
considèrent ou fantasment leur relation comme un espace sécurisé
au sein duquel tout de soi doit être dit et montré.
«Il y a actuellement une telle peur d'être seul avec soi-même,
avec ce que l'on comprend mal de soi,
analyse Alain Héril, psychothérapeute et sexologue,
que beaucoup s'imaginent qu'en disant tout ils vont annuler la solitude
et garder leur âme pure. Ils sont dans l'illusion fusionnelle.»

«Quand on s'aime, on ne doit rien se cacher»
semble être la règle qui régit ces relations.
Comme si la transparence était la garantie de l'amour vrai.
N'y aurait-il pas, dans ce désir de s'offrir nu à l'autre
et d'en attendre la réciproque,
le fantasme d'être soi-même perçu comme pur de toute faute ?

«C'est une erreur de penser que l'on n'a aucun secret vis-à-vis de soi,
explique Patrick Estrade, psychologue et psychothérapeute de couple
(auteur notamment du Couple retrouvé, Dangles, 1991).
Nombre de nos pensées, lorsqu'elles se révèlent trop dérangeantes,
trop négatives, perverses, immorales ou agressives,
passent par le filtre de notre inconscient et y restent retenues.
En d'autres termes, elles sont refoulées.
On pourrait appeler l'“ombre” ce côté négatif de nous-même.»
Et de même que nous retenons notre «ombre»,
nous avons à apprendre à ne pas tout déverser sur l'autre.

Faut-il en conclure que le secret, le refoulement et la dissimulation
sont les meilleurs alliés du couple ?
«Pas du tout, rétorque Patrick Estrade.
Ne confondons pas transparence de personnalité et incontinence de la pensée !»

Pour trouver l'équilibre entre honnêteté et verbalisation excessive et ravageuse,
le thérapeute préconise la mise en place consciente d'un «filtre».
Il s'agit de faire le tri entre la «pensée constante»,
celle qui engage la relation en profondeur et dans la durée,
et les «pensées épiphénoménales»,
celles qui n'auront sur le couple aucun impact le lendemain ou dans l'avenir
mais dont la verbalisation risque d'avoir sur lui des effets négatifs.
Concrètement sont à partager toutes les analyses, les critiques, les doutes,
mais aussi les projets et les désirs qui nourrissent la relation,
car ils ont fait, au préalable, l'objet d'une réflexion approfondie.
Et sont à garder pour soi «toutes les pensées qui nous appartiennent trop intimement,
celles qui sont trop liées à notre tohu-bohu intérieur
pour être livrées telles quelles à l'autre».

Chercher à préserver l'autre
«Si notre besoin de verbaliser nos angoisses ontologiques
ou notre “fange existentielle” est trop fort, précise Patrick Estrade,
tournons-nous vers une personne extérieure non impliquée.»
Il est ainsi des secrets, des blessures
dont le partage non seulement n'allège pas celui qui s'en délivre,
mais alourdit l'autre d'un poids dont il ne sait que faire.
«Il vaut mieux bien réfléchir avant de raconter
certains faits douloureux de son enfance,
des situations d'inceste ou d'enfant battu,
explique le psychiatre et psychanalyste Yves Prigent.

Ces récits sont trop marquants pour le partenaire,
qui risque de vous réduire à l'étiquette
de la “fille incestée” ou du “fils battu par son père”.
Certaines scènes sont frappées d'un tel tabou que l'aveu,
au lieu de permettre à l'autre de mieux vous appréhender,
fixe une image qui bouche l'horizon de la connaissance.»
Mais ces secrets si lourds à porter, si difficiles à recevoir,
perdent de leur pouvoir toxique s'ils ont fait l'objet d'un travail en thérapie.

Dès lors, l'histoire assimilée, digérée, recomposée
pourra être, si on le désire, partagée avec son conjoint
en signe de confiance et d'intimité.
Le secret devient lien et non plus fardeau.
Marianne, 38 ans, n'a ainsi jamais parlé à son premier mari
du viol qu'elle avait subi à 12 ans.
«Quand on s'est séparés, j'ai entamé une thérapie.
Trois ans plus tard, j'ai rencontré Antoine,
et un jour, six mois après notre rencontre,
je lui ai parlé de ce que j'avais vécu.
Mon secret honteux n'en était plus un,
c'était une partie de mon histoire,
j'ai pu la lui confier sans l'écraser et sans me faire du mal.»

S'il n'existe pas de guide du «bon usage du secret»,
il existe un garde-fou qui peut nous aider à délimiter
une frontière entre ce qui peut être partagé
et ce qui devrait rester caché.
«Tout ce qui est tu par souci de l'autre, par délicatesse,
avance Yves Prigent, est un bon secret.
Dans le domaine de la sexualité,
si les confidences mettant en scène un tiers,
présent ou passé, sont trop prolixes,
elles appartiennent au voyeurisme, à l'exhibition, éventuellement au sadisme,
ce qui n'a rien à voir avec la loyauté.»

Dans la zone d'ombre, mal délimitée, du «à dire» et du «à taire»,
les secrets sexuels sont particulièrement délicats à manier,
à commencer par les fantasmes.
«Il y a deux types de fantasmes, explique Alain Héril.
Ceux qui appartiennent au dialogue sexuel entre les deux partenaires
et ceux qui relèvent de notre part d'ombre
et qui ne regardent que nous.
Une de mes patientes avait le fantasme, assez banal,
de faire l'amour avec le meilleur ami de son mari.
Elle a eu la mauvaise idée de le lui confier
et cet aveu a eu sur son mari un effet dévastateur.
Ce qui était pour elle un moteur libidinal est devenu un enfer pour lui.»

Le mystère, moteur de la libido
De même, une aventure extraconjugale, exceptionnelle
et sans implication affective menaçante pour le couple,
devrait, selon les sexologues et les sexothérapeutes, rester secrète.
Si l'aveu d'une aventure sans lendemain peut détruire un couple,
en garder le secret «peut même profiter à la libido des deux partenaires,
qu'elle peut redynamiser», constate Alain Héril.

Fort heureusement, tous les secrets de couple
ne sont pas faits de mensonges ou de drames.
Certains servent simplement à donner un peu de magie,
de mystère à sa propre existence.
Ce sont les secrets «école buissonnière».

Lucie, 39 ans, cultive avec gourmandise ces petits non-dits «innocents mais précieux» :
«Olivier me croit au travail alors que je flâne au musée Guimet,
je passe une journée avec une copine à faire du shopping
ou à aller au cinéma alors que je suis censée être chez ma mère…
J'aime cette opacité qui me donne l'impression de vivre plusieurs vies
et d'être glissante comme un poisson.
Ma limite ? Ne rien faire de ce qui pourrait lui faire de la peine s'il l'apprenait».
Le respect de l'autre est bien la seule limite au territoire de nos jardins intimes…

...avant de parler
Nous avons demandé à plusieurs thérapeutes spécialistes du couple
quels étaient les bons réflexes à avoir avant de confier un secret,
quelle qu'en soit la nature, à son partenaire.
Si vous répondez spontanément oui à la majorité de ces questions,
mieux vaut vous abstenir de parler pour le moment.

Explorer ses motivations :
- Est-ce que livrer cette information sur mon intimité risque de faire du mal à notre couple ?
- Suis-je tenté de me «décharger» de mon problème sur mon partenaire au lieu d'y réfléchir seul ?
- Lui parler en détail de cet événement ne relève-t-il pas d'une forme d'exhibitionnisme, voire de sadisme ?

Evaluer les conséquences :
- Est-ce que je risque d'être humilié ou culpabilisé
par l'interprétation que mon partenaire peut faire de l'événement que je m'apprête à lui confier ?
- Préférerait-il ne pas savoir ce que j'ai envie de lui dire ?

LES IDEES CLES :
- Cultiver un jardin secret est indispensable à la dynamique du couple.
- Les fortes angoisses et les pensées trop intimes sont à garder pour soi,
sauf si elles ont déjà été «digérées».
- Tout ce que l'on cache par souci de l'autre est un « bon secret ».

Sources : http://www.psychologies.com/

 

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