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La force du lien

 

 

Peut-on vivre sans lien ?
Non, parce qu'on ne peut exister seul.
On a besoin de l'autre pour se construire et se conquérir,
Pour se rassurer parfois,
Et pour partager des moments, des idées, des désirs.
L'autre est précieux en tant qu'il représente une ouverture sur le monde.
C'est pourquoi on devrait s'interroger sur la nature du lien
Qui nous attache mutuellement.

Étymologiquement,
le mot lien vient du latin liganem «qui sert à attacher»
L'ancien français utilisait le mot «lien»
là où aujourd'hui on emploie celui de «laisse».
On tenait donc le chien en «lien»
Pour l'empêcher de s'échapper
quand il avait des velléités d'aventure
et des envies de grands espaces
Puis le mot lien a pris le sens d'«entraves» d'un prisonnier.
On voit bien qu'à l'origine,
Le lien est contrainte et interdit la liberté,
Tout au moins la liberté de mouvement.

Ce n'est qu'au XIIème siècle que le mot a été employé dans un sens figuré,
avec, selon le contexte, «valeur de ce qui unit affectivement ou moralement»
Et de «contrainte résultant d'un voeu»,
à savoir les liens du mariage.
à l'époque classique,
le lien est devenu «ce qui maintient dans une étroite dépendance,
en servitude», désignant l'esclavage amoureux,
Puis de façon un peu atténuée, le mot a pris le sens de «relation affective»,
Comme dans l'expression des «liens d'amitié».

C'est dire si le mot est lourd de sens.
Le lien attache, emprisonne, contraint, asservit...
Heureusement, il en est d'autres qui associent, rapprochent,
tiennent le temps nécessaire,
Mais savent se desserrer et se détendre quand il le faut.
Lorsqu'on navigue, on apprend à faire toutes sortes de noeuds marins,
Dont l'un appelé «noeud de chaise».
Une façon particulière d'entrecroiser les bouts,
Rend ce noeud d'une extrême solidité.
Dans la tempête, quand le bateau tangue et tire,
Le noeud se resserre pour empêcher le naufrage.
Et pourtant aussi serré soit-il, il suffit d'un coup de main,
pour qu'il se défasse sans plus offrir de résistance.
Le bateau peut alors reprendre sa route...

S'attacher, se détacher, revenir,
Repartir, rencontrer, quitter...
Toute notre vie suit ce mouvement permanent,
et cela dès les premiers mois de notre existence.

À quoi sert l'attachement ?
De façon assez paradoxale à nous apprendre,
à la fois créer du lien et à puiser la force de nous en détacher.
C'est parce que ce lien originel nous ancre à la vie et aux autres,
qu'il peut nous permettre de prendre le large.
On peut alors larguer les amarres,
Avec la certitude de pouvoir revenir au port.
Détacher le lien, mais sans le rompre.
Et s'attacher encore, ici et ailleurs,
Sans se laisser emprisonner.

On répète souvent
Que nous rêverions tous de retrouver la fusion originelle.
Pourtant, de cette fusion,
Chacun garde aussi la nostalgie de l'envie
De conquêtes qu'elle faisait naître.
Chacun rêve au moins autant de s'affranchir de certains liens,
Dont il pressent qu'ils l'enchaînent.
Il n'est qu'à voir la fascination et l'admiration
Que suscitent certaines vies d'ermite
ou certains conquérants de l'impossible,
Qui se sont risqués seuls à l'assaut des sommets...
La course autour du monde à la voile
est plus captivante si elle s'effectue en solitaire.
En équipage, elle perd de son pouvoir d'attraction,
Comme si nous étions tous un peu envieux
De ceux qui parviennent à se séparer de tout
Pour affronter seuls les défis
Qu'ils se sont lancés.
Ceux qui savent être en tête à tête avec eux-mêmes
et ne compter que sur eux,
Ce qui ne les empêchera pas d'être à leur retour,
Avec d'autres auprès desquels ils puiseront
La force nécessaire pour repartir.
Solitaires, mais pas misanthropes,
Sûrs de soi, mais pas mégalomanes.

Extrait de Marcel Rufo

 

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